Comment s’appuyer sur les savoirs expérientiels de chacun·e pour adapter nos accompagnements ?
Posté par Grâce Belang 16 octobre 2025
Animée par Cyril Dupouy, Directeur du programme PHC, cette table ronde a réuni :
- Rosine Bodin, Accompagnante socio-professionnelle, à l’ASBH (Forbach)
- Karima Lonchampt, Educatrice socio-professionnelle à Tremplin (Bourg-en-Bresse),
- Laurie Moule, Responsable du Pôle Veille Sociale &Insertion de l’association Les enfants du canal (Paris)
- Patrick le Berre, Salarié en CDDI à l’ACI Les enfants du canal (Paris)
- Lisa Viola Rossi, ASP aux enfants du canal (Paris)

Qu’entend-on par savoir expérientiel ?
Les savoirs expérientiels sont des connaissances issues du vécu personnel, souvent liées à des situations difficiles : précarité, addiction, exil, ou encore sans-abrisme. Ce type de savoir est subjectif, mais essentiel : il vient compléter les savoirs techniques et académiques des professionnels de l’accompagnement.
Ces dernières années, la reconnaissance institutionnelle de ces savoirs a progressé. On parle de plus en plus de pair-aidance : une pratique où une personne ayant vécu une situation similaire met son expérience au service d’autrui, dans une logique d’entraide et de soutien mutuel.
Quand le vécu devient un outil d’accompagnement
Plusieurs intervenant.es ont partagé leur expérience de la pair-aidance dans des structures d’insertion. Rosine, ancienne consommatrice aujourd’hui médiatrice paire dans son chantier d’insertion, s’est formée grâce à un Diplôme Universitaire en addictologie. Son double regard (professionnelle et ancienne bénéficiaire) lui permet de mieux comprendre certaines situations et d’aider ses collègues à repérer ou accompagner des personnes en difficulté avec les addictions.
Karima, éducatrice socio-professionnelle à Bourg-en-Bresse, a quant à elle mis en place un “café PHC”, un espace informel où les salarié·es peuvent échanger librement deux fois par mois. Ces temps, pensés par et pour les salarié·es, permettent de construire des solutions collectives, hors du cadre formel de travail.
Donner une place aux parcours de rue dans l’accompagnement
L’association Les Enfants du Canal, représentée par Laurie et Lisa Viola, a également partagé son expérience. Née après le mouvement des Enfants de Don Quichotte, l’association intègre depuis longtemps des travailleurs pairs dans ses actions, notamment dans ses maraudes. Ces salariés, tous passés par des situations de rue ou de grande précarité, jouent un rôle de “bilingues” entre le monde de la rue et celui du travail social.
Selon Viola, accompagnatrice socio-professionnelle de la structure, ces profils favorisent un lien de confiance immédiat avec les bénéficiaires et aident à “reconnecter” les personnes avec les institutions. Pour beaucoup, c’est aussi une manière de se reconstruire : “C’est la première fois que je ne suis plus aidée, mais que j’aide.”
Un équilibre à trouver entre vécu et posture professionnelle
Les échanges ont également mis en lumière les limites et précautions nécessaires à la pair-aidance.
Le recrutement est un enjeu central : toutes les personnes ayant un vécu similaire à celui recherché pour l’accompagnement ne sont pas prêtes à le partager dans un cadre professionnel. Le rétablissement personnel doit être suffisant pour que le témoignage soit utile et non fragilisant.
Rosine souligne aussi l’importance de savoir prendre du recul : “On ne peut pas sauver tout le monde, c’est avant tout un travail d’équipe.”
Les structures ont rappelé la nécessité d’un accompagnement psychologique et collectif, de formations continues, et d’espaces d’échange entre pairs pour éviter l’épuisement.
Des bénéfices partagés
Pour Viola, les effets de la pair-aidance se ressentent à plusieurs niveaux :
- pour les personnes accompagnées, elle crée un lien de confiance et montre qu’un changement est possible ;
- pour les travailleurs sociaux, elle enrichit les pratiques et favorise une meilleure compréhension des réalités de terrain ;
- et pour les pairs eux-mêmes, elle redonne une place active dans la société et transforme le stigmate en valeur positive.
L’expérience du “café PHC” de Karima illustre aussi cette logique : un ancien salarié, revenu partager son parcours, a pu inspirer un autre à reprendre son accompagnement. Ces moments d’échange créent des dynamiques d’entraide spontanées.
Des pistes pour aller plus loin
Les intervenant·es ont insisté sur la nécessité de renforcer la formation et la reconnaissance des pairs. Les Diplômes Universitaires de “patients experts” ou de “pair-aidance” restent peu accessibles, avec des prérequis parfois trop exigeants. Le développement de formations spécifiques et la création de cadres clairs d’emploi et de rémunération sont donc essentiels pour pérenniser ces postes.
Les partenariats avec des structures spécialisées (CSAPA, CAARUD, GAIA…) et les Groupes d’Analyse de la Pratique (GAP) permettent aussi de mieux encadrer ces démarches, tout en préservant la santé mentale de tous les accompagnants.
Les échanges ont montré que la pair-aidance n’est pas une simple “aide entre pairs” : c’est une démarche professionnelle à part entière, qui enrichit le travail social en y intégrant la force du vécu.