Comment s’adapter pour accueillir un public féminin en chantier d’insertion
Posté par Grâce Belang 16 octobre 2025
Animée par Tiana Milville, cheffe de projet Convergence France, cette table ronde a réuni :
- Coline Derrey Favre, Chargée de mission IAE à la FAS
- Marie Loison Leruste, Maitresse de conférence à La Sorbonne Paris Nord,
- Nathalie Ourry,Co-directrice de Rejoué (Paris)
- Odile Rosset, Directrice de Carton Plein (Ile-de- France)

Comprendre les spécificités de la précarité féminine
Marie Loison Leruste a rappelé que la précarité se vit différemment selon le genre. Les femmes à la rue sont moins visibles : elles mendient rarement, évitent les espaces publics jugés dangereux, ou restent dans des foyers malgré des situations de violence. Elles se tournent aussi moins vers les dispositifs d’aide, par méfiance ou par peur.
Les femmes seules avec enfants sont particulièrement exposées à la précarité, à la culpabilité et à la surcharge mentale. Adapter les dispositifs, c’est reconnaître ces réalités. Par exemple, la création d’espaces de non-mixité dans certains lieux d’accueil a permis de mieux prendre en compte les violences de genre.
Coline Derrey Favre, de la FAS, a rappelé que ces inégalités se retrouvent aussi à l’intérieur des structures d’insertion. Certaines activités restent genrées comme des ateliers “féminins” (couture) au détriment d’ateliers professionnels ou de réflexion sur les parcours. L’enjeu est d’éviter de reproduire les stéréotypes tout en s’adaptant aux besoins réels des femmes.
Penser l’accueil des femmes dès la conception du chantier
Nathalie Ourry, de Rejoué, a présenté un modèle d’ACI pensé dès le départ pour accueillir un public féminin. L’activité (réemploi de jouets) a été choisie pour permettre un équilibre entre vie professionnelle et vie familiale, avec des horaires adaptés et des rôles variés. Aujourd’hui, l’équipe compte environ 70 % de femmes, mais reste mixte et ouverte à tous.
Ce choix a permis de repenser les représentations : au début, certains hommes étaient réticents à remettre à neuf des poupées, mais l’expérience a finalement aidé à déconstruire les clichés de genre. L’équipe a aussi été formée sur ces sujets pour mieux comprendre les enjeux d’égalité.
Faire évoluer une structure existante
Odile Rousset, de Carton Plein, a raconté un autre parcours : celui d’une structure historiquement très masculine (seulement 15 % de femmes).
Un signal d’alerte interne, porté par des salariées, a déclenché une remise en question. L’équipe a décidé de se faire accompagner pour repenser ses pratiques et accueillir davantage de femmes.
Des outils ont été mis en place : charte d’engagement, guide pour les encadrants, formations sur les violences sexistes et sexuelles, et une politique de discrimination positive assumée.
Les effets se font déjà sentir : davantage de femmes recrutées, une ambiance de solidarité (sororité), mais aussi de nouveaux défis, notamment la gestion de tensions entre certains comportements masculins et les traumatismes vécus par les femmes.
Pour aller plus loin, une demi-journée non mixte a été créée, permettant aux femmes de découvrir tous les rôles sur le chantier, sans répartition genrée. L’équipe a aussi travaillé avec La Cravate Solidaire pour aborder la question de l’apparence dans une logique professionnelle plutôt que stéréotypée.
Concilier accompagnement et contraintes du quotidien
Les intervenantes ont aussi évoqué la question de la maternité et de la garde d’enfants, souvent au cœur des difficultés de parcours.
Rejoué a adapté les horaires et proposé des solutions plus souples pour éviter que les salariées ne soient contraintes d’abandonner leur emploi.
Carton Plein, de son côté, a dû repenser l’accompagnement de certaines femmes très éloignées de l’emploi, notamment celles peu ou pas scolarisées.
Les parcours de sortie restent un vrai défi : les solutions adaptées dans les chantiers ne se retrouvent pas toujours à l’extérieur, ce qui complique les suites d’insertion.
En faire un projet de structure durable
Pour Coline Derrey Favre, l’enjeu est d’inscrire cette réflexion dans la durée, à tous les niveaux de la structure : direction, encadrement, salariés.
L’égalité femmes-hommes et la prévention des violences doivent devenir des axes structurants du projet associatif. Cela passe par des outils concrets : formations (comme celles de SEVE Emploi sur la médiation active), quiz internes, accompagnement par des associations spécialisées, et un travail de fond sur le recrutement, les locaux et les horaires.
Cette table ronde a montré que mieux accueillir les femmes dans l’IAE demande du temps, de la volonté collective et des moyens adaptés. Certaines structures ont déjà fait de grands pas, d’autres commencent à s’interroger, mais toutes partagent la même conviction : penser l’inclusion féminine, ce n’est pas créer un dispositif à part, c’est repenser la manière d’accueillir tout le monde.