Accompagner la santé mentale par le travail : mission impossible?

Posté par Grâce Belang 16 octobre 2025

Animée par Sophie Roche, Directrice Adjointe de Convergence France, cette table ronde a réuni :

  • Alain Mercuel, Psychiatre au centre hospitalier Sainte-Anne – Paris,Pôle « Psychiatrie-Précarité
  • Raphael Bouloudnine, Médecin Psychiatre, Coordinateur national « Un chez soi d’abord », Membre du Comité Scientifique Convergence France
  • Elodie Picolet, Psychologue et chercheuse à l’Orspere-Samdarra, CH Le Vinatier – Lyon

Santé mentale et précarité : un constat qui préoccupe 

Alain Mercuel rappelle que la situation est alarmante : 330 000 personnes vivent aujourd’hui sans domicile en France, dont près d’un tiers présentent des troubles psychiques nécessitant un suivi, et un autre tiers des soins psychiatriques immédiats. 
Les Équipes Mobiles Psychiatrie Précarité (EMPP), créées dans les années 1990, ont été un tournant dans l’accompagnement des personnes en grande précarité souffrant de troubles psychiques, permettant de maintenir du lien avec les personnes malgré une psychiatrie publique en difficulté. Il rappelle que les troubles psychiques sont la première cause d’arrêt maladie en France. Phobies, dépression, anxiété ou addictions ont souvent des conséquences directes sur le travail : difficultés à se concentrer, à s’organiser, à collaborer… 
C’est dans ce contexte que sont nés les chantiers thérapeutiques dès 1992, avec l’idée que le travail pouvait être un outil de soin, et non une finalité. 

Le travail comme moteur de rétablissement 

Pour Raphaël Bouloudnine, “le travail n’est pas un objectif, mais un moyen”. Il agit comme un levier de santé, au même titre que le logement : il redonne confiance, estime de soi et rythme de vie. Le concept de rétablissement s’est imposé avec les travailleurs pairs — des personnes ayant elles-mêmes connu la précarité ou des troubles psychiques et accompagnant aujourd’hui d’autres personnes sur leur parcours. 
L’idée : partir des besoins réels et du rythme de la personne, lui redonner du pouvoir d’agir. 

Deux exemples illustrent bien cette approche : 

  • Une salariée avec de lourdes difficultés familiales a pu identifier, grâce à cet accompagnement, que le travail n’était pas sa priorité à ce moment-là, et qu’il fallait d’abord stabiliser sa situation personnelle. 
  • Une autre, passionnée de théâtre, a été accompagnée pour rencontrer des professionnels du cinéma et suivre des cours, afin de construire un projet à son image. 

Le rôle clé des professionnels 

Élodie Picolet, psychologue, a partagé les enseignements du projet Santé mentale en chantier, menée par Convergence France en partenariat avec la DGCS depuis 2024. 
Au départ, certaines actions ont été lancées pendant le Covid, notamment des groupes d’échanges sur le confinement et ses impacts. Ces temps ont permis de libérer la parole et d’identifier des besoins : de plus en plus de salarié·es en insertion demandaient à rencontrer un.e psychologue. 

L’expérimentation a alors permis de proposer jusqu’à 5 séances par personne, avec parfois recours à des interprètes. Les orientations se font via les professionnel·les des structures, dans une logique de confiance. 
Les psychologues ne remplacent pas les dispositifs de droit commun (CMP, hôpitaux), mais interviennent pour répondre à l’urgence et fluidifier l’accès au soin. 

Les salarié·es permanents des chantiers montent aussi en compétence : ils apprennent à repérer les signaux de souffrance psychique et à mieux ajuster leur posture. 

Vers un accompagnement global 

Les intervenants ont insisté sur la nécessité d’une approche globale : emploi, santé, logement. L’idée de “à chacun son first” (Housing First, Working First, Care First…) résume cette logique : partir de ce qui fait sens pour la personne, pour construire un parcours de sortie durable. 

Enfin, tous ont souligné l’importance du lien dans la durée, y compris quand la personne s’éloigne des dispositifs, et la nécessité de soutenir les professionnels pour qu’ils puissent à leur tour accompagner sans s’épuiser.