Comment travailler les suites de parcours vers l’emploi ? Convergence Rouen
Posté par Grâce Belang 25 septembre 2024
Entretien avec Mounir Daânoune, chargé de partenariats emploi à Convergence Rouen, et Emmanuel Prévot, ancien salarié de CVG et désormais responsable espaces verts et maintenance à Domytis, structure partenaire de Convergence Rouen.
Renforcer les liens entre le chantier et les emplois du territoire
Pour favoriser l’intégration des salariés des chantiers d’insertion dans le monde du travail, il est crucial de développer des passerelles vers l’emploi de droit commun et les Structures d’Insertion par l’Activité Économique (SIAE).
Le chargé de partenariat emploi a pour mission principale de construire un réseau local de partenaires. Cela permet de faciliter le parcours professionnel des salariés en mettant en place un accompagnement adapté. Pour réussir, il est essentiel de connaître en profondeur l’écosystème local et d’identifier les ressources disponibles pour soutenir ces salariés dans leur cheminement vers l’emploi.
L’ élaboration par les salariés en insertion de la suite de leur parcours après le chantier d’insertion est un enjeu majeur pour tous les chantiers. Sur les territoires Convergence, comme à Rouen, un poste de chargé de partenariat est dédié à épauler les conseiller.e.s en insertion professionnelle (CIP) et Accompagnant.e.s socio-professionnels (ASP) pour multiplier les propositions faites aux salariés.
« J’étudie les secteurs d’activité du territoire, les publications des institutions sur le sujet, pour comprendre quels sont les secteurs en tension susceptibles de recruter. Je travaille avec les GEIQ, le CREPI Normandie, la fédération des EI, France Travail… » Mounir participe aux événements du territoire dédiés au recrutement, par exemple sur les métiers en tension. « La limite est que sur le territoire, on retrouve souvent les mêmes formats d’événements, qui rassemblent les mêmes acteurs…et qui recherchent plutôt des profils qualifiés ! »
Cette connaissance du territoire sert à maximiser la prospection d’entreprises intéressantes par rapport aux activités supports des chantiers, mais pas uniquement. La prospection doit être variée : il faut essayer de trouver des structures qui proposent tous les corps d’activité (espaces verts, soin, hygiène…) pour pouvoir créer des rencontres avec un maximum de salariés.
« Je mène ensuite une prospection directe auprès des entreprises que j’ai identifiées. Je leur présente le programme CVG. L’idée est de faire découvrir notre fonctionnement, et de commencer à faire changer de regards sur ce que l’insertion peut proposer. » La perception sur le monde de l’insertion est en effet souvent un frein important au développement de liens avec les employeurs « classiques ». « On leur parle de salariés en transition professionnelle, c’est moins stigmatisant »,indique Mounir. « Nous avons organisé des réunions de mutualisation (qui rassemble tous les ASP des chantiers Convergence) avec SEVE Emploi qui porte cette vision et accompagne aux changements de pratique d’accompagnement vers l’emploi des SIAE ».
« Pour déconstruire ces idées préconçues sur les SIAE et leur public, mais aussi sur les entreprises, le meilleur moyen est d’organiser des visites d’entreprises, des rencontres avec les salariés, de permettre l’échange. » On a ainsi plus de chance de susciter l’intérêt des salariés en parcours, d’inciter les entreprises à accueillir des salariés en Période de Mise en Situation en Milieu Professionnelle (PMSMP), avec peut-être à la clé une signature de contrat.
Ateliers collectifs, PMSMP…Multiplier les propositions à disposition des salarié.e.s
En parallèle de ce travail avec le territoire pour ouvrir des pistes de sortie du chantier, le chargé de partenariat emploi construit des propositions à disposition des salarié.e.s directement sur les chantiers. Objectif : faire émerger des idées pour leur projet professionnel en construction, les accompagner sur la préparation à l’emploi.
A Rouen, des ateliers collectifs sont ainsi organisés une fois par mois pour les salariés des chantiers Convergence. « Ils marchent bien ! » souligne Mounir. Ces ateliers couvrent des sujets volontairement variés, pour toucher un maximum de public : présenter les métiers qui recrutent sur le territoire, les techniques de recherche d’emploi, la confiance en soi, la posture professionnelle, l’entretien d’embauche. « Sur ce dernier thème, nous avons par exemple un partenariat avec la Cravate solidaire qui fonctionne très bien. En complément, ils proposent des entretiens individuels, et peuvent mettre l’accent sur la posture professionnelle, l’hygiène… »
« Les ateliers collectifs me permettent de rencontrer les salarié.e.s, et donc d’avoir plus d’infos pour pouvoir cibler les offres pertinentes pour eux. Parfois les ASP sont également présents sur les ateliers collectifs, ce qui leur permet de repérer des choses différentes chez les salariés qu’ils accompagnent. Et on a aussi remarqué que quand les salariés ne se connaissent pas, ils parlent plus pendant ces ateliers ! »
« Quand on voit que quelqu’un est motivé en atelier collectif, ça incite à enclencher un mouvement et leur proposer des actions complémentaires, des PMSMP… Il faut simplement que l’ASP s’en saisisse ensuite
pour proposer l’action, la formation ou la suite de parcours au salarié. »
La PMSMP avant embauche est un outil important pour faciliter la transition vers l’emploi. Il s’agit d’une période de stage d’1 à 2 semaines dans une entreprise partenaire, souvent identifiée grâce au travail de prospection. Le stage peut être renouvelé jusqu’à 1 mois. A l’issue de la PMSMP, un bilan individuel est réalisé avec Mounir, le salarié, et avec l’ASP si possible. Mounir garde donc le lien avec l’entreprise et le salarié, pendant et après le stage. « Aujourd’hui la PMSMP est rentrée dans les pratiques des chantiers, même s’il subsiste souvent un frein du côté des ASP et Encadrants Techniques d’Insertion (ETI), qui peuvent considérer que la personne n’est pas prête : il faut insister : la PMSMP c’est un test, il faut que le salarié puisse tester. » Autre frein parfois rencontré : « les ETI sont parfois plus frileux sur les stages car la gestion des plannings de l’équipe pour assurer la production est au cœur de leurs responsabilités, et avoir quelqu’un hors du chantier pendant plusieurs jours peut avoir des impact sur la production réalisée. »
Si la PMSMP est concluante pour le salarié et l’entreprise, elle devient un tremplin direct vers l’emploi. Si cette période test n’est pas concluante, elle permet au salarié d’analyser, avec l’équipe du chantier, ce qui a plu ou déplu, et de l’intégrer à la réflexion sur la suite de son parcours. C’est un outil de mise en dynamique.
Enfin, organiser des visites d’entreprises est un bon outil pour aider les salariés à se projeter dans un nouveau milieu professionnel. D’autant plus lorsque ces entreprises ont déjà embauché d’anciens salariés des chantiers : ils peuvent alors témoigner en racontant leur parcours et la réalité de leur emploi actuel !
Un travail en collaboration avec les équipes d’accompagnants et d’encadrants des chantiers
Le chargé de partenariat articule donc son intervention auprès des salariés avec le travail d’accompagnement global mené par les ASP. En travaillant avec chacun des 6 ASP du collectif Convergence Rouen, Mounir s’adapte aux différentes demandes exprimées et aux cultures de travail de chaque chantier.
« Les ASP sont tellement impliqués sur la résolution des freins sociaux qu’il y a la place de venir travailler le sujet de la suite de parcours vers l’emploi, adaptée aux salariés en parcours. J’ai un point mensuel avec l’ensemble des équipes, y compris les ETI, pour réaliser un balayage des situations et une réflexion concertée sur chaque des parcours, les actions personnalisées à mettre en œuvre… ».
Le parcours d’Emmanuel Prévot, responsable espaces verts et maintenance chez Domytis
Emmanuel Prévot est aujourd’hui en charge des espaces verts et de la maintenance dans une résidence senior, partenaire de Convergence Rouen. Passé par le chantier d’insertion Intermaide, membre de Convergence Rouen, il a saisi une opportunité professionnelle proposée par Mounir et son ASP.
Du stage au CDI
« Je suis arrivé à Intermaide parce que ça faisait longtemps que je n’avais pas travaillé. Ça m’a aidé, j’y suis resté 22 mois. » déclare Emmanuel. Le lien avec Mounir s’établit en 2022, alors qu’Emmanuel était déjà sur le chantier depuis environ un an et demi. Emmanuel est repéré par Mounir suite à sa participation à des ateliers collectifs organisés par Convergence Rouen. Mounir identifie, lors des échanges avec les salariés, qu’Emmanuel est intéressé par les espaces verts.
Durant la même période, Mounir participe à un événement de « recrutement inversé », où les structures présentent leur offre de service, et les candidats présents dans l’auditoire décident auprès de qui ils veulent postuler. Une résidence senior, Domytis, présente son projet : c’est une résidence de 110 appartements, 114 résidents, à Mont-St-Aignan, à côté de Rouen, à la recherche de plusieurs postes. Mounir échange avec la directrice, qui lui indique un besoin de stage en entretien des espaces verts, pour compenser l’absence de la personne en poste : Mounir pense à Emmanuel. La directrice propose un stage à 35h par semaine.
Mounir discute avec l’ASP qui accompagne Emmanuel et lui propose d’en parler davantage. Emmanuel est d’abord réticent : son contrat en insertion est à 26h/semaine. Un stage, même à 35h, serait rémunéré uniquement à la hauteur de son contrat en cours. « Mais nous avons fini par trouver un terrain d’entente. » Emmanuel accepte pour une semaine, pour voir comment ça se passe. La semaine se passe très bien, le stage est renouvelé pour une 2e semaine, le poste lui plaît. En stage, il montre qu’il est aussi motivé pour tout ce qui est maintenance : le moindre bricolage dans la résidence l’intéresse. La directrice renouvelle son stage pour le tester sur la maintenance, pendant 2 semaines supplémentaires. « Au final, j’ai fait 4 semaines de stage (2×2 semaines). De base, c’était l’espace vert, mais j’ai prouvé que je pouvais aussi prendre en charge les sujets de maintenance. Tout allait bien, j’ai fait la différence pendant le remplacement. » A l’issue du stage, Emmanuel revient sur le chantier d’insertion. Lors du bilan du stage, la directrice indique que la personne en poste en maintenance va sûrement partir. Quelques semaines plus tard, la personne en poste est partie, un CDI lui est proposé.
« Je suis totalement dans mon élément ! » Cela fait un an et demi qu’Emmanuel est en poste en tant que responsable espaces verts et maintenance, et gère seul le site – 114 résidents tout de même, 110 appartements : peinture, papiers peintures, piscine, espaces verts…. « Je suis bien sur mon poste. Je me sens épanoui dans mon travail – je cours un peu partout mais je ne manque pas de travail ! » Il a suivi des formations : électricité, secours incendie… « J’essaie de m’améliorer de jours en jours. Le poste m’a ouvert beaucoup de portes ».
« Depuis que je suis arrivé à Domytis, je prends plein de stagiaires de Convergence ! »
Seul pour assurer une grande diversité de missions, Emmanuel n’hésite pas à solliciter quelques renforts en stage à ses côtés ! Il est désormais un partenaire emploi qui joue le jeu avec les chantiers de Convergence Rouen : il a déjà accueilli et formé plusieurs stagiaires. « Un stagiaire c’est une personne comme tout le monde ! Mais ils ont besoin d’une formation sur le poste – parfois ils viennent de la voirie, donc il y a une montée en compétence à faire sur le domaine espaces verts (reconnaitre les mauvaises herbes par exemple). Ils apprennent beaucoup. C’est un plaisir de leur faire partager mon métier. » Avec tous les cœurs de métiers présents dans la résidence, d’autres possibilités de stages existent : dans le domaine de la propreté, de la restauration collective… Une visite de la résidence a récemment été organisée avec des salariés en insertion, qui leur a permis de visiter les locaux et découvrir les différents métiers qui y exercent. Le temps de clôture de la visite était le témoignage d’Emmanuel sur son parcours et son métier actuel.
Désormais avec la casquette de l’entreprise partenaire, Emmanuel reconnaît la plus-value de l’accompagnement concerté avec les ASP et Mounir pour l’orientation des stagiaires « Parmi les salariés en insertion, tout le monde n’est pas toujours prêt. Mais je travaille en lien avec Mounir et avec les ASP : on peut s’assurer d’avoir des personnes intéressées qui vont s’engager dans le stage, ça permet de mieux cibler les profils.